Les migrations en
France et en Italie
Entretien n°2
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Cyrille Djiofack
Né au Cameroun, Cyrille est venu en France à 6 ans. Après le lycée, il décide d'aller faire ses études en Italie.
1. Raconte nous un peu ton parcours, entre Cameroun, France et Italie.
Je suis né au Cameroun et j'ai fait une partie de mon enfance là-bas. Mon père est venu en France quand j'avais 2 ans grâce à une opportunité de travail : un entrepreneur français avait un grand chantier au Cameroun et mon père était le fournisseur. Après 4 ans, il nous a fait venir : d'abord ma mère, puis ma sœur puis moi. Je suis donc arrivé en France à 6 ans et j'ai commencé l'école primaire à Besançon.
Ce n'était pas évident au début, tout était différent entre le Cameroun et la France. En fait, tu sens que tu n'appartiens pas vraiment à l'endroit dans lequel tu es. Au début je n'avais pas beaucoup d'amis, ça a changé vers 10/11 ans mais je me sentais toujours différent et même mes amis me le rappelaient. J'avais vraiment envie d'appartenir à mon nouvel environnement mais c'était compliqué parfois, surtout que quand j'allais au Cameroun, j'étais considéré comme un français. C'était assez difficile de ne pas trouver ce sentiment d'appartenance. Plus le temps passe et plus cette sensation disparait, on a tendance à s'y habituer. Au lycée, ça a changé, je me sentais déjà plus français.
2. Qu'est ce que tes parents t'ont transmis de leur culture camerounaise?
Mon père et ma mère sont très attachés à la culture camerounaise, on parlait par exemple le dialecte entre nous. La langue officielle au Cameroun est le français et l'anglais mais il existe plus de 300 dialectes et je suis très content que mes parents m'ont appris le leur car c'est quelque chose qui n'est pas donné à tout le monde : j'ai des amis qui ont grandi là-bas et qui ne le parlent pas.
Ils m'ont aussi appris ce qu'était le Cameroun, ce qu'était l'homme africain, ce que cela signifiait. Je crois que j'ai appris à toujours prendre les choses du bon côté et comme elles viennent. La plupart des camerounais ont cet état d'esprit : même avec les soucis, on gère. Il y a un moment ou mon père avait des difficultés financières, mais on se disait tous "ça va aller" et on était surtout très soudés, c'est ça qui nous a aidé.
La valeur familiale est très importante au Cameroun. J'ai une grande famille donc ça peut parfois être compliqué de se retrouver tous, mais ce lien est très fort. Parfois en août, on organise une grande réunion là-bas et je ne connais pas tous mes cousins (rien que ma grand mère a eu 9 enfants!), mais quand je les rencontre, c'est comme si on s'était toujours connus. La première fois qu'un ami franco-belge de mon père est venu chez nous, il nous a dit être émerveillé par ce rapport et cette convivialité et il a finalement passé une grande partie de sa vie là-bas. En fait on aime bien que les gens se sentent à l'aise et se sentent les bienvenus, tu ne t'ennuies jamais là-bas.
Je suis toujours très attaché au Cameroun, je ne passe jamais deux ans sans y aller. c'est vraiment important pour moi. Aujourd'hui mes parents sont rentrés : mon père trouvait ça mieux de travailler à son compte. J'ai également 2 sœurs là-bas, une autre sœur à Besançon et mon frère en Allemagne qui est venu grâce à une possibilité de travail.
3. Pourquoi venir en Italie après la France?
Je suis allé en vacances chez mon cousin à Turin et j'ai beaucoup aimé. J'ai décidé de venir en Italie, mes parents ne comprenaient d'ailleurs pas pourquoi mais ma décision était prise. J'ai beaucoup tracé mon parcours seul, mon père m'a effectivement aidé et mes parents m'ont toujours soutenu mais mes décisions sont les miennes; et ce que j'avais décidé c'était d'aller en Italie.
J'ai été accepté à l'université de Turin en 2015. Après quelques mois à Turin, j'ai demandé le transfert pour Aoste. C'était plutôt difficile au début : les premiers mois m'ont rappelé mes premières années en France. Aoste c'est une petite communauté qui peut être parfois fermée et j'étais quasiment le seul noir dans mon université. C'était donc assez compliqué : j'avais beaucoup de questions, j'étais au centre de l'attention et j'avais l'impression d'être un extraterrestre parfois, ça me gênait. Je me rappelle d'une amie qui m'a demandé s'il y avait des routes et des maisons au Cameroun, je lui ai répondu en rigolant que non, on vivait tous dans des arbres. En fait j'essayais de le prendre à la légère et j'ai beaucoup relativisé, je ne veux pas juger mes camarades qui posaient des questions qui semblent stupides parce que c'était aussi de la curiosité.
4. Justement, est ce que tu trouves que le racisme dont tu étais victime était différent en Italie qu'en France?
C'est différent : les italiens ont pas autant l'habitude de voir des étrangers. J'étais le seul noir en M1, c'est encore quelque chose de rare là-bas. A Aoste, j'avais l'impression que tout le monde me regardait quand je marchais. Ceci dit là-bas, même les gens du sud de l'Italie peuvent être stigmatisés. Quelqu'un m'a dit un jour, surpris par le fait que je sois là "mais les noirs normalement n'étudient pas" et puisque j'aime les défis, ça m'a vraiment donné envie de me dépasser. En fait, je ne sais pas si les italiens sont particulièrement racistes mais je crois qu'il s'agit plutôt d'ignorance.
Une amie camerounaise qui était également venue étudier en Italie vivait très mal ce décalage. Mais je crois que dû à ma nature qui est de beaucoup relativiser, j'essaye d'aller de l'avant : le soir j'ai déjà oublié et je passe à autre chose; j'essaye de faire en sorte que ça ne m'atteigne pas.
En France aussi j'ai subi des insultes, un jour par exemple je passais à côté d'un chien qui s'est mis à aboyer et un monsieur dit à l'autre "c'est parce qu'il a vu un noir". Ceci dit, je dirais que je l'ai plus ressenti en Italie.
5. Tu aimerais rajouter quelque chose?
Ce que je suis aujourd'hui, c'est la construction de tout ce que j'ai vécu, bon ou mauvais. Une chose est sûre c'est que toute ma vie je me sentirais camerounais. Parfois je me sens italien, parfois français : c'est important quand tu es adopté par un pays et par un peuple d'avoir ce sentiment d'appartenance. Je me sens aussi enfant du monde dans le sens ou je peux aller n'importe ou, mais jusqu'à la fin de ma vie je serai camerounais et c'est ce que je transmettrais à mes enfants, cette culture.
En fait quand tu sais d’où tu viens, tu sais ou tu vas. Et ces choses la je ne peux pas les fuir, elles font partie de moi.
Merci à Cyrille pour sa participation!